Résidence Mohamed Mechti
Bordeaux octobre 2024
Retrouver Marceline au troisième étage de cet incroyable endroit
Un lieu invisible dans un urbain incessant
Une histoire de la France, pays d’oppressions multiples
Et de celles-là en particulier
Des histoires de vies brisées en ces lieux refuges. Attentes.
Ici, là, on se demande que furent et que sont encore les rêves, les pensées, les désespoirs, les solitudes.
Et elles furent sans doute hors normes.Tout autour, la vie s’agite, se mobilise en quotidiens, en passages, en ces mouvements élancés de là en là, d’anonymes vacants en incrustations d’habitudes.
Mohamed Mechti.
Entre Saint Michel et les Capucins.
Je retrouve Marceline.
Ce parcours .
Cette mémoire. Indissociable de notre rapport au monde.
Je retrouve Marceline.
Pour un nouveau chemin en sa conversation.
Une carte au mur, et des traits, des épingles, des post-it, des idées, des croisements, des axes et des détours.
De là en là, en ici-bas, des rhizomes à construire entre les pages des récits d’un monde.
Avachi parfois.
Et parfois autre et merveilleux.
Deuxième jour
Retrouver Marceline est une erreur de langage. Car nous ne la quittons jamais vraiment.
Car la vie, l’actualité du monde, l’histoire passée et celle en cours, nous obligent à cette conscience quotidienne.
Et à ce refuge en cette présence-là.
Marceline.
Cette résistance-là.
La vie autant respectée. Malgré les ténèbres.
En ces journées Marceline, vous êtes là et nous travaillons pour que l’on vous entende, un peu partout, un peu fort, un peu doucement, un peu plus loin.
Tout cela est bien. L’évidence de la transmission.
Mais j’ouvre de nouveau vos livres. Ce récit terrible, insupportable.
Lorsque vous êtes rentrée d’Auschwitz Birkenau, sur le quai de la gare, où vous attendait votre oncle, il vous a dit « Ne raconte pas. Personne ne te croira. »
Ensuite, bien des années plus tard, vous avez trouvé la force, et la nécessité, d ‘écrire et de raconter.
Bien des années plus tard.
Révérences.
Mais
Re lisant vos mots.
Cela se resserre.
L’histoire attendue entendue enseignée officielle.
Mais
Re lisant vos mots.
Les mots de tous, l’Europe détruite, la mort des innocents, les livres et les livres, les films et ce qui fait ainsi que
« Nous savons »
« Nous avons même conscience »
« C’est clair et compris »
« Cela fait partie de notre histoire ».
Mais
Re lisant vos mots
Re lisant vos mots.
Troisième jour
Cette résidence-là se termine. Mais ce n’est qu’un début. Le chemin avec vous Marceline continue et s’offre ici un nouveau commencement.
Je souhaite désormais de tout cœur et de toute âme que nous nous déployons ensemble, en mémoire de vous, en mémoire des vôtres, famille et peuple, et si j’ose, en mémoire des nôtres. Ils ne nous appartiennent pas, certes, mais nous appartenons à l’histoire.
Nous aimerions les serrer dans nos bras et les sortir de là.
Nous aimerions pouvoir être désolés.
C’est terrible parce qu’il ne s’agit pas de soi, de nous, de culpabilité, mais la pudeur nous fait taire. Absolument.
Comment dire ce malaise face à l’horreur vécue ?
Comment avoir le courage d’avouer cette empathie, cette solidarité des ébranlés ?
Car tout cela bouscule
Très peu
Mais bouscule
Même très peu
Je cherche à vous trouver dans la généalogie du monde
Et dans la mienne.
Alors je me demande
(et encore une fois qui suis-je et pourquoi ? Cette question pourrait aussi être une œuvre des hommes pour les hommes. )
Alors je me demande, pendant ces moments de votre vie, où étaient ceux qui sont les miens, la famille, les anciens, les avant qui ont des empreintes en moi, en mon enfant.
Désormais à poursuivre, Marceline.
Parce qu’il s’écrit là aussi une généalogie honteuse de l’Europe.
Dont on ne parle que par politesse de l’histoire, par obligation révérence.
Et c’est encore terrible.
Même si.
Même s’il est impossible et même immonde de se défaire du témoignage, du réel, du pourquoi, comment, où et encore et si et si ?
Je cherche un escalier où élever mon âme en votre présence en votre voix.
Et marche à marche, je tenterai d’honorer tout ceci.
Absolument.
12 novembre 2024
Au milieu de notre conversation, de ces écrits qui nous rassemblent de nouveau, qui nous prolongent : quelques pages de notes, d’un rendez-vous parisien.
Fondation pour la Mémoire de la Shoah.
J’aurais aimé vous en parler. J’aurais aimé vous le dire et j’aurais aimé vous entendre.
Je me demande ce soir ce que vous en auriez pensé.
Cela : que l’on vous entende encore en ce monde après votre mort.
Vous qui disiez :
« Je suis sûre qu’il n’y a plus rien après. »
Désolée de vous contredire. Mais il y a ceci. Vous êtes encore là.
Avec l’essentiel des mots, des persévérances, des indignations, des idéaux pulvérisés.
Sur nos collines d’humanité.
Alors, « Il n’y a pas rien après ».
Il y a vous encore. Tellement là. Votre voix. Vos horizons blessés.
La violence ré incarnée de façon systématique, la cohabitation de l’horreur, et la répétition de cet enfer, de la haine.
Il m’a été dit plusieurs fois ce jour, la chance qui fut la mienne.
Cette rencontre, ces heures partagées, cet espoir espéré dans les paroles. Avec les paroles.
Je ne sais pas encore si je la mesure cette chance, cette aubaine espérance,
Mais je sais, comme avec conviction, que cette proposition
Conversation avec Marceline
Ce théâtre entre guillemets
Ce fil du vivre
Ce possible être là. Ici.
Est le seul chemin de traverser encore, ce trésor de la vie
Que vous avez été dans la mienne, que vous êtes.
NB :
J’ai vu ce jour un ami, Jean-Marie. Son témoignage figure à côté du vôtre, dans mon livre : Conjuguer Conjurer. Son père, résistant, déporté à Drancy, comme vous. Et comme vous, revenu vivant. Survivant.
Je me rends compte alors de votre présence sans cesse dans nos journées.
Dans nos nuit et jour.
Il paraît qu’il nous faut des miracles. Vous.
Puisque bien sûr. Je n’en attendais pas tant.
A vous. Tant.
Cette lumière dévoilée.
Dans la nuit noire de l’homme. De la mort et de la violence programmées.
A vous tant.
Revenue de l’horreur.
Pour nous dire de tenir. De tenir. Au moins une âme étoile. Au-dessus de l’écrasé de l’intelligence. Au-dessus de l’irréparable. Au-dessus de ce qui nous détruit inlassablement.
Et des bombes.
Merci. Marceline.
Il est encore temps.
Dalila Boitaud-Mazaudier