Chroniques rwandaises / 23 octobre 2013
Ce fut en son temps le sous titre du livre du journaliste Philip Gourevich, lorsqu’il assistait à la tragédie de 1994, en notant avec une impressionnante ferveur chaque détail reconstituant l’histoire qui se déroulait sous ses yeux hallucinés.
C’est sans doute parce qu’aucun autre titre n’est venu, et aussi parce que c’est la forme usuelle de ce genre d’écrit.
C’est aussi parce que rien ne se détache du drame qui secoua le pays il y a vingt ans et depuis. Rien.
Gisozi à Kigali ; Nyamata, l’Eglise de la Sainte Famille et le centre Saint Paul à Kigali ; Kamonyi ; Gitarama ; Ruhango ; Kinyogoto, Gatagara, Nyanza.
Et Jean-Pierre, Jean-Marie, Judith, Elise, Alain, Yolande, Sandrine, Marie-Grâce, Paulin, Tutie, Claudine, Modeste, Gad, que nous avons rencontrés ces jours ci.
Pour ceux qui ont déjà visité le Rwanda, ces noms de lieux évoqueront sans doute des moments d’une force rare, pour les autres ce ne sont que des espaces imaginaires, mais il est si important de nommer.
Le génocide n’est pas seulement l’acte le plus terrible de l’histoire, il est aussi une idéologie de l’anéantissement de l’autre, à la base, lorsqu’il n’y a plus d’espace pour nommer celui qui fût.
Les sites mémoriels se suivent et ne se ressemblent pas. Il s’agit là, d’un immense centre doté d’outils pédagogiques et de moyens de l’Etat ; là d’une croix plantée en bord de route, là d’un grand mur couvert de noms sur le haut d’une colline ; là d’une dalle nue sur un terre plein sobre, là d’une Eglise jonchée de reliques ; là d’un jardin entouré d’arbres et de chèvres et d’enfants ; là d’une salle où s’entassent les cercueils et les images.
Partout cela raconte l’ampleur du drame pendant et après. Lorsqu’il a fallu trouver un lieu de repos aux morts et à leurs survivants.
La vie tente de reprendre son espace et son souffle, et sans doute y arrive t-elle parfois.
Dans les brumes matinales qui se détachent des collines avec une délicatesse rare.
Dans les enfants des bords de route qui crient « Muraho » à qui veut l’entendre en secouant les mains et les sourires ouverts.
Dans les yeux des hommes bien sûr, dans les arbres et les fleurs et cette beauté vallonnée qui rassasie le regard en le perçant de teintes multiples, graves et aériennes.
La réalité de la vie qui remue côtoie la mémoire des morts et cette mémoire est aussi si vivante.
Comme une empreinte dans les corps, dans le langage, dans les espaces, dans l’air à respirer.
C’est un chemin qu’il faut prendre comme ces sillons rouges des bords de route, seul, et monter, descendre, onduler, se laisser marcher dans l’âme, sans vraiment tout saisir, sans évidentes réponses.
Une ondée de cette humanité debout, qu’on a laissé pour morte et qui, dressée dans la tourmente, tend la main vers la suite.
Le passé est devenu un verbe à conjuguer.
Chaque jour.
Dalila Boitaud Mazaudier / octobre 2013.